Vienne avant la nuit

Robert Bober

P.O.L.

  • Conseillé par
    24 janvier 2018

    Un témoignage indispensable

    À plus de 80 ans, Robert Bober part pour l'Autriche sur les traces de son arrière-grand-père, Wolf Leib Fränkel. Une partie de sa famille a disparu en déportation et lui-même a échappé de peu à la rafle du Vel d'hiver. Son aïeul a voulu émigrer aux États-Unis, mais s'est fait refouler à Ellis Island. Il s'est retrouvé en Autriche, où la vie était plus facile qu'en Pologne pour les juifs. Il y a fait venir une partie de sa famille. Ils ont logé dans le quartier de Léopoldstadt, à Vienne, ou plus d'un habitant sur deux était juif.

    Robert Bober se penche sur les archives, imaginant la vie de la famille, la culture yiddish, il se promène dans le Vienne des écrivains, qui était sûrement inaccessible à son arrière-grand-père, modeste ferblantier. Vienne dans les années 20 était une ville moderne, ouverte, bouillonnante, où vivaient Arthur Schnitzler, Stefan Zweig, Joseph Roth, Sigmund Freud etc ... L'intelligentsia se retrouvait dans les célèbres cafés viennois.

    Nous suivons l'auteur dans ses recherches, ses promenades à la recherche de cette Vienne-là. La quête intime rejoint bien sûr l'histoire. L'Autriche a réussi à se faire passer pour victime du nazisme après la guerre alors que ses habitants ont fait un triomphe à Hitler en 1938. Aucune rue ne porte le nom de Schnitzler, mais la statue de son ancien maire, Karl Lueger, inspirateur du Führer, est toujours en place.

    L'arrière-grand-père de Robert Bober est mort bien avant le désastre, mais une partie de ses descendants a disparu dans les camps. L'auteur retrouve un de ses cousins à Vienne, sans pouvoir le rencontrer. À sa stupéfaction, il apprend que celui-ci, traumatisé par la déportation de ses parents, a décidé d'effacer toutes les traces de son judaïsme et ne veut plus en entendre parler.

    La démarche de l'auteur, qui part à la rencontre de ses ancêtres sur ses vieux jours, est bouleversante et racontée avec pudeur et discrétion.

    C'est un beau livre, qui reproduit de nombreux documents, des dessins d'époque, des photos de famille, des vestiges des synagogues brûlées et des vues du cimetière abandonné où Robert Bober cherche à plusieurs reprises la tombe de son aïeul.

    Il est à signaler que le livre est sorti en même temps qu'un documentaire en miroir. Ils se complètent et l'idéal est de prendre connaissance des deux, livre et film.