Il faut beaucoup aimer les hommes

Marie DARRIEUSSECQ

P.O.L.

  • Conseillé par
    25 novembre 2013

    Solange trentenaire a quitté la France et est actrice à Los Angeles. Lors d’une soirée chez George (Clooney), son regard est aimanté par un seul homme. Il est acteur, se nomme Kouhouesso et il est noir. Très vite, Solange est submergée par l’amour qu’elle lui porte. Car si bien sûr elle aimé d’autres hommes avant lui ce n’était pas aussi intensément, passionnément. La passion qui l’a fait attendre.
    « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter » ( Marguerite Duras) et il faut beaucoup les attendre pourrait rajouter Solange. Oh que oui elle l’aime cet homme Solange, elle l’écoute parler quand ils se voient de son grand projet d’adapter le livre Au cœur des ténèbres et de le réaliser en Afrique.

    Ce continent où est né Kouhouesso lui est inconnu. Elle lit, cherche et s’informe sur le Cameroun pour se rapprocher de lui et combler l’attente des moments à passer ensemble. Il n’a qu’en tête son film, amant distant aux manettes de leur relation donnant de ses nouvelles quand il a en envie. Solange ne quitte peu ou pas son portable guettant les textos de sa part.
    Il est noir, elle est blanche : le regard des autres renvoie à Solange cette couleur de peau comme si la culture, les goûts devaient forcément en découler. Elle espère un rôle dans le son film, elle l’a. Le tournage n’a rien d’une sinécure où les ennuis techniques s’accumulent car Kouhouesso a ses exigences délaissant Solange encore plus. L’équipe découvre les croyances de cette terre où les rapports hommes-femmes sont différents. Là où la nature, la mysticité sont à ellesseules des personnages. Kouhouesso s’éloigne encore plus de Solange. On sait que leur relation va droit dans le mur mais Solange a des ressources et elle ne sera ni anéantie ou brisée.

    Roman sur les affres de la passion, sur l’attente patiente ou que l’on endure, sur les couples mixes et tout cette sphère de questions, de préjugés qui les entourent. De Hollywood où le nom d’acteurs connus résonne à Paris en passant par la côte Basque où résident les parents et le fils de Solange, des forêts du Cameroun aux plateaux de cinéma, l’écriture se déploie par phrases courtes, un rythme scandé, un vrai souffle qui donne une envergure à ce roman. J’ai ressenti de l’empathie pour Solange sans la trouver mièvre ou fleur bleue.
    J’ai beaucoup, beaucoup aimé ce roman intelligent où l’écriture de Marie Darrieussecq est quasi hypnotique !


  • Conseillé par
    21 août 2013

    un film en noir et blanc

    Au départ, l’exercice peut sembler périlleux, car dans son nouveau livre Marie Darrieussecq s’attaque à un sujet délicat et finalement très peu traité dans la littérature française : une Blanche tombe amoureuse d’un Noir. La romancière a choisi de raconter l’histoire du point de vue de la jeune femme et les écueils, comme la possibilité de s’enliser dans les clichés et la mièvrerie, étaient nombreux.

    L’auteure de " Tom est mort " (2007) ou " Naissance des fantômes "_ _(1998) déjoue pourtant les obstacles avec beaucoup d’aisance. Par exemple, elle a choisi de placer son récit dans une situation exceptionnelle, en le délocalisant en Californie puis sur un plateau de tournage au cœur de l’Afrique, et les deux protagonistes sont riches et célèbres. Exit donc les questions purement sociologiques et franco-françaises qui auraient pu encombrer son propos.  On retrouve Solange, l’héroïne du précédent roman de Darrieussecq, " Clèves ", Solange devenue actrice française et vivant à Los Angeles, où elle fait la connaissance de Kouhouesso, la nouvelle coqueluche d’Hollywood, superbe jeune acteur né au Congo. Et elle tombe éperdument amoureuse de lui. Entre eux, une histoire débute.

    Mais Kouhouesso a le projet, grandiose, d’adapter  pour le cinéma " Au cœur des ténèbres ", le célèbre roman de Conrad. Un énorme défi professionnel et financier car Kouhouesso tient à tourner en pleine jungle africaine. Ce projet l’obsède, le dévore, lui prend tout son temps. Et pour lui, le symbole culturel qui est ici en jeu, montrer un point de vue africain sur cette œuvre, dépasse la simple réalisation d’un film.

    Il aime Solange mais, pris dans son projet, n’a pas vraiment le temps de penser à elle. Elle espère un rôle dans son film. Elle voudrait exister à ses yeux. Elle attend. Le suit sur le tournage qui se déroule dans des conditions éprouvantes mais lui permet de découvrir l’Afrique loin des touristes. Elle espère beaucoup de ce voyage, trop peut-être, alors que lui est accaparé à chaque heure par mille difficultés pratiques. Et d’innombrables questions surgissent. Solange analyse les a priori qu’elle véhicule, mais aussi la façon dont sont perçus les Noirs dans le monde moderne. Qu’est-ce que des pays développés conservent comme archaïsmes ? La France est-elle différente des Etats-Unis ? Solange observe également beaucoup Kouhouesso, elle veut le comprendre, s’interroge sur son parcours, sur ce qui le constitue, sur cette rage qui semble ne jamais le quitter. Elle craint à chaque instant de commettre un impair, de le décevoir, mais s’agace aussi de son intransigeance. Et tous deux doivent bien sûr affronter le regard des autres, déjouer les clichés, se libérer de leurs propres préjugés pour pouvoir se rencontrer.

    Livre riche donc, intelligent, et qui, au-delà de son sujet central -une Blanche qui rencontre un Noir- dit beaucoup sur les relations hommes-femmes en général et met en évidence des schémas ancestraux dont nous ne sommes pas encore totalement débarrassés.

    Car ici, l’homme est dans l’action, la femme dans l’attente. Elle espère trouver un rôle dans sa vie à lui, tente d’être à la hauteur et de s’intégrer dans ses passions. Elle cherche sa reconnaissance quand lui s’occupe d’autre chose. Kouhouesso se fiche au fond de ce que Solange pensera de son film, l’enjeu est ailleurs, alors qu’elle est entièrement suspendue à ses regards.

    Comme souvent, Marie Darrieussecq pointe les archaïsmes de nos comportements, elle qui depuis toujours sonde les relations entre les hommes et les femmes. On retrouve donc ici l’auteur de " Truismes ", certes dans un autre registre, mais avec les mêmes préoccupations.

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