La Vie rêvée des autres

Agnès Bihl

Don Quichotte

  • Conseillé par
    7 mai 2015

    Agnès Bihl m'avait déjà bluffé avec son recueil de nouvelles, 36 heures de la vie d'une femme, elle récidive avec son premier roman. Quelques passages un peu longs, assez rares cependant, donc je les évacue très vite. Le reste, eh bien, il est excellent. Ce qui me ravit c'est le sens de la formule de l'auteure, je pourrais en citer un nombre incalculable, des sortes d'aphorismes, d'expressions détournées, de réparties cinglantes (par exemple un dialogue entre copines) :

    "Pas futé, ton bonhomme.

    - C'est même le roi des cons. Ne le sous-estime pas.

    - Et sexuellement il est comment ?

    - Parfait pour chronométrer la cuisson des pâtes." (p.37)

    A chaque fois, sa phrase sonne juste, tombe dans le mille. C'est drôle, ironique, tendre, tragique, ... car elle joue de tous les registres. Si le livre est globalement positif et joyeux, certaines pages sont sérieuses et bien senties, comme celles qui concernent la maltraitance que subissent les personnes âgées dans certaines maisons de retraite, ou les violences faites aux femmes, le racisme, la surabondance de soi-disant informations dans les journaux télévisés ou radiophoniques. Ce qui est bien, c'est que le raciste mis à part, qui est vraiment un gros "Connard" (dixit Agnès Bihl), l'auteure n'est jamais manichéenne, les maltraitants ont des circonstances qui peuvent expliquer certains comportements sans les excuser pour autant (les pages dans lesquelles elle décrit Jean-Christophe et Delphine au plus mal, où l'on sent monter l'acte, le viol dit-pudiquement-domestique, et l'après la honte de l'un, la peur et le dégoût de l'autre, en sont une illustration parfaite. Jean-Christophe reste un pauvre type, un salaud ordinaire, mais la montée en lui de cette pulsion est bien décrite). A chaque fois, je trouve qu'elle est juste, c'en est même énervant, parce qu'elle dit ce que je pense mais elle le dit mieux que moi. Moi qui m'énerve régulièrement ici contre les propos racistes, je me trouve lourdingue parfois, mais Agnès Bihl, avec la même colère est beaucoup plus fine (que voulez-vous je ne suis qu'un pauvre mâle... et puis le talent on l'a ou on ne l'a pas. Agnès Bihl l'a) : "Madeleine avait des envies de meurtre à chaque fois qu'elle croisait ce type, elle n'avait jamais pu s'habituer à ce genre de fumier. C'est dingue. Son Christ est juif, ses chiffres sont arabes et son berger allemand, mais Connard trouvait le moyen d'être raciste quand même." (p. 192)

    En plus de toutes ces bonnes raisons de lire ce roman, j'ajouterai que l'auteure a su créer des personnages attachants avec leurs côtés chiants, leurs névroses et leurs difficultés à vivre mais leur volonté de ne pas nuire aux autres surtout à leurs amis et aux amis de leurs amis... Une famille très élargie dont on a envie de faire la connaissance, qui passera des journées à l'Île d'Yeu, qui reste l'une des mes îles préférées (avec Bréhat -mais il m'en manque encore beaucoup à visiter dans l'Atlantique ou la Manche ; si parmi mes lecteurs certains ont de bons plans voire des invitations pour m'en faire découvrir d'autres, n'hésitez pas, contactez-moi)

    Bref, un excellent premier roman à l'écriture qui fait mouche. Agnès Bihl est aussi auteure-compositrice-interprète, je m'étais juré d'écouter ses albums après ma lecture de son recueil de nouvelles, je l'ai fait -légalement- sur Internet, point encore en vrai chez moi. Cette fois-ci promis, je le fais.