Dans son ultime roman, Yoram Kaniuk met en scène Orlov, un vieux peintre désabusé, qui s'est fait une spécialité de représenter les morts. Sollicité par Magda dont le mari immensément riche vient de mourir, il se rend à son domicile pour représenter cet homme qu'il ignorait jusqu'alors et qui fut pourtant son seul collectionneur. Dans le huis-clos nocturne de la chambre du mort, Magda et Orlov vont délicatement se mettre à nu et révéler le récit de leur destin tumultueux aux ascendances inconciliables et troublantes, chacun se frayant une voie dans les méandres de la vie aussi inaccomplie soit-elle.
Loin d'être morbide, "Presque" est une merveille littéraire, brève et intense dans laquelle l'art, l'amour, la mort et la célébration de la vie se croisent. Comme le peintre qui contemple la mort pour en faire surgir un souffle de vie et sourdre la part invisible des êtres, Yoram Kaniuk contemple les vivants avec une écriture sensible et paisible créant un doux attachement à chacun de ses personnages.

Sur un fil narratif de haute-volée, Linda Lê livre un récit dense et intense qui explore « les territoires du rêve et de la réalité » incarnés par deux personnages que tout oppose. Un cheminement saisissant sur la corde raide de la passion, aux frontières de la folie, tenu de bout en bout par un subtil jeu de balancier.

Jouant du glissement des situations et d'une riche palette de nuances, le nouveau roman de Linda Lê tisse une immense toile d'interrogations sur notre troublant rapport à autrui et sur notre difficile relation au monde. Qui trouvons-nous dans ceux que nous rencontrons et aimons ? Que percevons-nous d'eux ? Qu'attendons-nous d'eux ?
Formidablement incarnée, cette toile saisissante, assemblée par un flux narratif de haute-volée aux enchaînements précis, étoffée par une progression romanesque soutenue et intense, ne manque pas non plus d'être habitée par notre rapport à littérature, territoire s'il en est du rêve et de la réalité.

Inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, visité annuellement par plus de deux millions de personnes, porteur d'une histoire millénaire, le Mont-Saint-Michel retrouve après de longs aménagements son caractère maritime. À ce joyaux du patrimoine et à son exceptionnel écrin, l'une des plus belles baie du monde à haute valeur écologique, il fallait un ouvrage à la hauteur de sa renommée de huitième merveille du monde.
Le Mont-Saint-Michel, publié par les éditions du Patrimoine Centre des monuments nationaux, offre ce précieux reflet de papier au majestueux monument de granit multiséculaire. Elégamment façonné, soigneusement composé, richement iconographié et profondément documenté, l'ouvrage collectif glisse le lecteur dans une histoire tempétueuse comme les vents qui battent le rocher et dans un ensemble architectural aussi mouvant que les sables qui entourent ce monument unique au monde. Loin d'être un lieu figé par le temps, le Mont-Saint-Michel que nous admirons aujourd'hui est le fruit d'une longue histoire où périodes de grandeur et de délaissement se succèdent au fil du temps. Les auteurs en font saisir toutes les strates architecturales et historiques qui en résultent, depuis sa légendaire fondation au début du VIIIe siècle jusqu'à l'inauguration de son nouveau pont passerelle en octobre 2015. Mille trois cents ans d'histoire, de constructions qui se superposent, se jouxtent, s'effondrent aussi sous le feu d'une dizaine d'incendies, puis de reconstructions sans cesse renouvelées, de transformations selon les usages et les enjeux de chaque époque : île, rocher, monastère, forteresse, prison puis monument historique. L'histoire de France se lit dans les pierres du Mont-Saint-Michel. Elargissant le champ, l'ouvrage ne se restreint pas à la seule abbaye mais s'ouvre sur son environnement, son village, ses visiteurs, pèlerins et touristes avec ces étonnantes arrivées en train au pied du monument photographiées en 1900 et 1910.
L'ouvrage accorde une large place aux hommes qui ont fait son histoire en animant intensément la vie intellectuelle au Moyen-âge, comme en témoignent les saisissantes reproductions de manuscrits enluminés ou en restaurant depuis cent cinquante ans ce haut-lieu patrimonial. Avec une dernière partie consacrée à la littérature, l'ouvrage souligne la forte puissance inspiratrice du lieu qui enflamma les auteurs romantiques du XIXe siècle et de nombreux peintres.
Ouvrage de référence de toute beauté, il offre au lecteur une traversée monumentale et historique, aux entrelacs de nature et de culture, qui dégage autant d'émotions et de ravissements que de connaissances et de curiosité pour ce chef d'oeuvre de l'humanité sans cesse mouvant, toujours vivant.

Si les noms de Marathon et Salamine résonnent fortement à nos esprits contemporains, celui de Pylos nous est quasiment inconnu. Pourtant, cette bataille remportée par les Athéniens en 426 av. J.-C. sur les redoutables guerriers spartiates, dans le territoire même de leurs ennemis, constitue un moment décisif, un événement majeur dont l'écho résonnera longtemps dans le monde grec antique, jusqu'à nous parvenir aujourd'hui, rehaussé par le limpide et lumineux essai de Philippe Lafargue.
Revisitant "La guerre du Péloponnèse" de Thucydide, la confrontant à d'autres voix, l'essayiste interroge les raisons qui ont poussé l'historien antique qui a vécu ces évènements à minimiser la bataille de Pylos. Et plus largement à historiciser ainsi les affrontements entre Athènes et Sparte, imposant l'idée d'une grande guerre de 27 ans.
Articulé en deux parties aussi passionnantes que vivantes l'une et l'autre, l'essai s'ouvre sur le récit sensible de la bataille elle-même avant de se prolonger sur les conséquences profondes de l'inattendue victoire athénienne, car "l'évènement révèle les structures profondes d'une société souvent en mutation" : modification des stratégies et tactiques de combat, affrontements des systèmes et modèles politiques, modifications des rapports de force intérieurs et extérieurs, capacité ou non de conclure la paix, modération politique et passions guerrières, ambitions impériales.
Grâce à une intéressante diversification des points de vue contemporains de l'évènement et à une analyse propre, Philippe Lafargue pousse intelligemment le lecteur à reconsidérer la vision historique de la guerre du Péloponnèse imposée par Thucydide et ses nombreux commentateurs, notamment des 19e et 20e siècles, sans pour autant nier l'apport fondamental de l'auteur antique.
Plus profondément, il interroge l'écriture même de l'histoire ancienne. S'inscrivant dans la voie ouverte par Georges Duby avec "Le dimanche de Bouvines" (Gallimard 1973; Folio, 1985), on le rapprochera avec bonheur de "L'évènement Socrate" de Paulin Ismard (Flammarion, 2013). Faut-il y voir l'émergence d'une nouvelle écriture de l'histoire antique ? On ne peut que le souhaiter comme une nouvelle exigence vivifiante.

Un nouvel opus d'Etienne Davodeau largement documenté et bouleversant de réalité sur les dessous et les exactions du SAC (Service d'Action Civique), milice du parti gaulliste et dissoute par François Mitterrand. Une bande dessinée documentaire à l'instar de « Les militants » ou « Un homme est mort » qui révèle une fois de plus tout le talent dessiné d'Etienne Davodeau et le plaisir d'accompagner une enquête aux côtés du journaliste Benoît Collombat afin que la vérité surgisse de l'obscurité.