Martel en tête

Pourquoi rééditer aujourd’hui ce petit roman d’un auteur oublié, publié en
1967, et déjà réédité trois fois depuis ? \- Peut-être à cause du Bricou, ce
personnage attachant qui ne se laisse pas oublier. Le Bricou est vacher, l’un
des meilleurs de la région. Du moins l’était-il, avant que son « malheur », la
mort de deux vaches, ne le fasse douter. Depuis, sa vie s’effondre : il n’est
plus bon à rien. On se moque de lui, il en est sûr. Et si sa femme le trompait
? Et s’il avait la gale ? En Auvergne, dans les années 50, on ne parlait ni de
paranoïa, ni de dépression. On se mettait juste « martel en tête » et cette
immense détresse de Bricou, qui pourrait sembler ridicule, est si pure et si
digne qu’elle en devient bouleversante. \- Peut-être parce que sous son allure
de fable pleine d’humour, ce roman à l’apparente simplicité touche ici à
l’universel. Comment ne pas comprendre la fragilité de celui qui se sent
devenu inutile, obsolète ? Comment ne pas se sentir solidaire de
l’incompréhension de celui qui a simplement vieilli ? \- Peut-être aussi pour
André Vers lui-même, ce quasi-inconnu auteur de quatre livres en quarante ans.
Né dans le quartier des Halles en 1924, il travaille en usine dès l’âge de 14
ans. Mais il aime lire, écrit des poèmes qu’un jour il osera envoyer à
Prévert. Ils resteront amis. André Vers est tout entier résumé par ses amitiés
: Georges Brassens, René Fallet, André Hardellet qui lui dédiera Lourdes,
lentes. Bref, un personnage hautement fréquentable. \- Sans doute, enfin,
parce qu’une adaptation vient d’être tournée sur les lieux même où se déroule
le roman, en Auvergne. Le moyen-métrage de Frédéric Pelle sera projeté dans
divers festivals en 2023. Ce roman de la montagne, que l’on peut rapprocher de
ceux de Charles-Ferdinand Ramuz, est préfacé par Philippe Claudel, qui a bien
connu « Dédé » Vers à l’époque où il planchait sur une thèse consacrée à André
Hardellet. Parisien d’origine auvergnate né en 1924, André Vers est mort en
2002. Il laisse une œuvre discrète : trois romans, un recueil de souvenirs
(C’était quand hier ?, 1990) et un recueil de nouvelles posthume. Trois titres
sont parus ou reparus chez Finitude, Martel en tête en 2006, Misère du matin
en 2009 et Ils étaient chouettes, tes poissons rouges en 2014.