Albertine

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Sous le pseudonyme d'Albertine, hommage à Marcel Proust, se dissimule une Joëlle passionnée de lecture depuis l'enfance. Mon appétit d'ogresse pour les mots, les histoires, les voyages à travers les pages ne s'est pas atténué avec les années. Je marche au coup de cœur, guidée par ma curiosité qui m'incite toujours à découvrir de nouveaux écrivains, à explorer de nouveaux genres. Je navigue entre romans policiers, fresques historiques, livres feel-good et essais sur l'actualité, au gré de mes humeurs et des rencontres avec certains auteurs. Participer à Dialogues Croisés, c'est partager ce bonheur de lire et avoir l'opportunité de mettre dans la lumière des « pépites » littéraires.

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3 mai 2016

Par le petit bout de la lorgnette...

Vienne, 1937. L'Histoire est en marche et l'ombre d'Hitler plane sur la ville. Robert Seethaler choisit de nous présenter cette période par "le petit bout de la lorgnette", plus exactement du tabac tenu par Otto Tresniek. Cet homme, qui a perdu une jambe à la guerre de 14/18, voit défiler dans son magasin aussi bien les ouvriers que les notables. Il peut compter sur de fidèles clients de la bourgeoisie juive dont le célèbre Sigmund Freud, amateur de cigares.
Nous sommes juste avant l'Anschluss, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne. Mais déjà la ville courbe l'échine, embrigade sa jeunesse et menace les Juifs. C'est dans ce contexte délétère que le jeune Franz Huchel arrive de sa campagne pour devenir l'apprenti d'Otto Tresniek. Il ne va pas seulement apprendre le métier auprès du buraliste mais connaître aussi ses premiers émois amoureux. Ceux-ci vont le plonger dans un état de confusion extrême dont il discutera tout à loisir avec Freud, devenu de manière totalement inattendue, son ami. Entre le tout jeune homme et le vieillard s'établit une complicité, une relation où chacun trouve en l'autre ce qu'il cherche. Franz a besoin d'une oreille attentive et de conseils, Sigmund Freud recherche davantage la fraîcheur, la candeur de ceux que la vie n'a pas encore trop blessés.

Franz correspond avec sa mère, restée à Nussdorf. Ils échangent des cartes postales où des mots simples expriment tout de même leur profond attachement. Franz grandit, s'enhardit, découvre la vie. Il peut compter sur l'amour de sa mère, l'amitié de Tresniek et Freud. L'horizon s'assombrit pour tous et notre "Candide" voit les hommes qu'ils respectent être chahutés, malmenés, contraint pour le psychanalyste à l'exil. Quel camp va-t-il choisir ?

Le style a failli avoir raison de mon attrait pour ce roman. Les phrases, souvent, très belles, sont toujours construites de la même façon, ou du moins sur un rythme identique. Cette "monotonie" (faute de trouver un mot plus adéquat) casse, cela n'engage que moi, la force de certains passages, qui auraient dû être de "vrais coups de poing" pour le lecteur.

Un roman d'apprentissage, un roman sur les choix que la vie nous impose
Une piqûre de rappel, une alerte : la barbarie est toujours là, aux aguets.

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27 avril 2016

Adopte un commissaire...

Les amoureux de l'Italie auront reconnu sur la très belle couverture les monuments emblématiques de Florence. Le palazzo et le Ponte Vecchio, la cathédrale Santa Maria Del Fiore nous invitent déjà au voyage. La petite Coccinelle appartient au commissaire Bordelli, 53 ans, qui tente de survivre aux températures écrasantes de cette fin juillet 1963. Il n'a pas déserté la ville comme beaucoup et lutte à la fois contre la chaleur, les moustiques et les souvenirs encore très présents de la Seconde Guerre Mondiale. Le seul avantage de cette situation est que même les criminels fonctionnent au ralenti.Sa principale tâche est d'arroser les plantes de Rosa, une prostituée devenue son amie, pendant que celle-ci séjourne sur la côte. Accessoirement, il rend aussi visite à son cousin Rodrigo, un professeur de Chimie psycho-rigide qui occupe ses vacances à corriger inlassablement des copies.

C'est compter sans un coup de fil de Mugnai, un de ses subordonnés, au coeur d'une énième nuit à chercher le sommeil. La dame de compagnie d'une vieille femme s'inquiète parce que celle-ci ne répond pas au téléphone. Elle paraît persuadée que sa patronne a été assassinée par des neveux trop pressés de toucher son héritage. Bordelli se rend sur place et découvre une demeure ancienne, qui a connu des jours meilleurs et la maîtresse des lieux, apparemment morte d'une violente crise d'asthme. Rien ne paraît suspect dans ce décès et pourtant, quelque chose tracasse le commissaire...

Si vous cherchez de l'action, des explosions, du suspense à couper le souffle, ce roman n'est pas pour vous. Si au contraire, vous aimez les polars avec ambiance, personnages atypiques et repas pantagruéliques, Marco Vichi est une excellent pioche. Moi, j'ai plongé, suivant avec bonheur cet homme qui ne juge pas sur les apparences. Il a pour amis des voleurs au grand coeur et un médecin légiste mélancolique. Cette enquête va lui permettre d'ajouter à ce cercle restreint Dante, le frère de la victime, un savant pour le moins original. Dans son laboratoire de fortune, celui-ci invente des produits improbables : la tasse à café supposée s'adapter à toutes les bouches (Bordelli ne parvient qu'à renverser du café sur ses chaussures !) ou un détergent à base de basilic pour laver les assiettes sans les frotter. Le commissaire va aussi abriter sous son aile le jeune Piras,un Sarde, fils de son compagnon d'arme pendant la guerre.

Après cette première lecture, je m'inscris tout de suite sur "Adopte un commissaire" et m'en vais rechercher d'autres romans avec ce quinquagénaire profondément humain.

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15 avril 2016

Pas convaincue par le tutu...

Le titre et la couverture étaient joliment accrocheurs. Ils annonçaient du feel-good teinté d'un message sur l'acceptation des différences. Cet homme d'âge mûr aux rondeurs sympathiques semblant rejoindre l'azur d'un saut léger me plaisait beaucoup. J'ai rapidement dévoré les 150 pages de cette histoire qui trouvera ses lecteurs mais je pense que je n'appartiens pas "au cœur de cible". Le narrateur, Paul, est un adolescent de 14 ans, très atypique. Il porte sur sa famille un regard assez distancié, teinté d'ironie mais bienveillant (autant de qualités dignes d'un vieux sage plutôt que d'un garçon à peine sorti de l'enfance). La cellule familiale compte un père Lucien, italo-russe, que le chômage a transformé en larve squatteuse de canapé, une mère issue de la bourgeoisie versaillaise, "encanaillée" par son mariage, une sœur, Sarah, 15 ans, qui se rêve danseuse et passe beaucoup de temps à bouder sous ses écouteurs et pour la touche exotique, une grand-mère paternelle russe, ancienne danseuse étoile au Bolchoï.

L'auteur surfe sur l'air du temps, le ton est résolument 2016 et l'on peut prendre plaisir à retrouver nos rituels contemporains : omniprésence des médias et des réseaux sociaux (Facebook, Snapchat et autre Netflix), références à différentes marques (Hollister, Nike, Mon Chéri et Ferrero Rocher...) . Dans une trentaine d'années, ce roman sera sûrement "vintage" tant il synthétise les éléments d'une période, presque jusqu'à l'excès.

Le drame dans la vie de Lucien, hormis la perte de son emploi et un ventre qui déborde de son short, c'est son père, qui a pris la poudre d'escampette avant sa naissance. Luigi Minchielli, danseur étoile, rencontré lors d'une tournée du Bolchoï en Europe, a été le grand amour de Maria mais de lui, il ne lui reste qu'une photo, dans le pendentif qu'elle serre sur sa poitrine et un fils, représentant en photocopieuses. Mais tada, le retour à Paris du père enfui incite Lucien, à s'extirper du canapé pour devenir "danseuse étoile". Oui, danseuse ! Je n'ai pas fait de faute d'orthographe.

L'ensemble est léger, les personnages peu nombreux sont juste esquissés, certaines scènes sont plaisantes mais le hic, pour moi du moins, reste le style très plat, proche souvent du cliché.

Une lecture en demi-teinte. Un roman qui me laisse vraiment sur ma faim...

Editions du Sous-Sol

16,00
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7 avril 2016

Un petit livre pour une grande dame

Nelly Bly est le pseudonyme d'Elizabeth Jane Cochrane, journaliste dont la vie pourrait presque faire l'objet d'un roman tant elle fut dense et aventureuse. Née en 1864 en Pennsylvanie, cette jeune fille de bonne famille n'est absolument pas destinée à la carrière qu'elle va choisir d'embrasser. Elle sera journaliste, pas la "préposée" aux courriers du cœur mais une enquêtrice, infiltrée dans les milieux qu'elle veut observer. La Florence Aubenas du 19ème siècle !

Dans ce livre, paru aux éditions du sous-sol, se trouvent réunis trois de ces reportages, dont le plus marquant : son "immersion" dans l'asile de New-York, le Blackwell's Island. Nelly Bly n'a que 23 ans en 1887 quand elle est engagée au journal New World dont le rédacteur en chef est Joseph Pulitzer. Il lui demande quasi l'impossible, se faire interner à Blackwell pour pouvoir dénoncer de l'intérieur les conditions de vie des malades. Elle relève le défi, s'installe dans une pension pour travailleuses sous le nom de Nelly Brown et rentre dans son personnage de folle. La facilité avec laquelle elle se retrouve à l'asile montre d'emblée le peu de sérieux et de compétences des médecins successifs qui vont l'examiner.

Sur place, arrivée sur l'île en même temps que d'autres femmes, pour certaines pas plus folles qu'elles, Nelly Bly ne peut que constater que l'asile ressemble plus à une prison qu'à un hôpital. Certaines infirmières ont mis en place un système parallèle où les patientes les plus "raisonnables" les déchargent de leurs tâches, où les brimades, les humiliations, les violences gratuites sont légion. Les médecins jouent les autruches pour dissimuler leur impuissance ou tout simplement par désintérêt pour ces femmes à l'esprit dérangé.

La jeune journaliste reste 10 jours sur l'île, dix jours qui vont marquer la naissance du reportage infiltré féminin. Le livre est découpé en 17 chapitres qui sont, je pense, les 17 articles parus dans le World. La langue n'est pas celle du journalisme contemporain. Le style, bien évidemment, est le reflet de l'époque, plus châtié, moins technique qu'aujourd'hui et c'est extrêmement intéressant à découvrir.

A la suite de ce reportage, le lecteur en trouve deux autres, plus succincts. Dans le premier, Nelly se fait passer pour une bonne afin de découvrir le monde des bureaux de placement. Dans le deuxième, elle travaille comme ouvrière dans une fabrique de boîtes et dénonce les cadences infernales et les salaires dérisoires.

Cette lecture m'a donné envie de découvrir davantage cette femme et je vous conseille d'en faire autant. Vous apprendrez, entre autre,qu'elle a réalisé le tour du monde en 72 jours et que cet exploit a été salué par Jules Verne lui-même.Les éditions du sous-sol feront bientôt paraître le récit qu'elle en a tiré...

Un petit livre pour une grande dame !


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24 mars 2016

Jubilatoire !

Jubilatoire, exquis, savoureux ! Merci à Hannah Rothschild pour cette piqûre de rappel. La lecture, loin des querelles de chapelles littéraires, doit rester un plaisir et son roman, tourbillon de fantaisie et d'érudition en est une magnifique illustration.

La maison de ventes aux enchères Monachorum&Sons est sur le pied de guerre. Le comte Beachendon, commissaire-priseur, briefe ses assistants sur les clients à "soigner" lors de la vente du jour : un tableau de Watteau, l'improbabilité de l'amour, qui fait le buzz. Notre tableau, véritable personnage, auquel l'auteur donne la parole dans de nombreux chapitres, s'offusquerait de l'emploi de ce terme vulgaire, lui qui a connu les fastes des palais. Et pourtant, dans notre société-people, tout a été fait pour qu'il suscite l'intérêt et la convoitise. Les acheteurs potentiels qui convergent vers Monachorum&Sons montrent bien l'efficacité du marketing agressif dont il a été l'objet. Deux oligarques russes contraints à l'exil, un émir et sa dispendieuse épouse, le Président de la République française, M.M Powder Dub-Box, un rappeur devenu millionnaire ainsi que quelques Chinois sont prêts à mettre la main à la poche pour acquérir l'oeuvre et le prestige qui l'accompagne.

Mais revenons six mois en arrière, à l'époque où L'improbabilité de l'amour croupissait chez un brocanteur, recouvert de crasse, "déclassé", "délaissé", "has-been". Une jeune femme Annie Mc Dee cherche un cadeau pour Robert, rencontré cinq semaines plus tôt lors d'une soirée pour célibataires à la Wallace Collection. Les musées, soumis à une diète financière, acceptent d'être le théâtre de ces événements pour renflouer leur trésorerie. A peine remise d'une rupture très douloureuse, Annie, venue à Londres pour tenter de percer dans le monde de la cuisine, essaie de croire à cette histoire d'amour balbutiante. Elle déniche notre "merveille" qui lui paraît appropriée comme cadeau d'anniversaire, elle l'acquiert pour 75 livres, une somme rondelette pour son budget serré.

Du studio un peu minable d'Annie aux ors de la salle des ventes, six mois vont s'écouler... Six mois que le lecteur ne va pas voir passer ! Hannah Rothschild anime toute une galerie de personnages qui ,tous, existent pleinement. Il lui suffit de quelques mots, comme pour Watteau quelques traits de pinceaux, pour donner vie aux électrons divers qui gravitent autour de l'Art. Certains sont d'un incroyable drôlerie, d'autres d'un cynisme absolu. L'auteure nous permet de découvrir les coulisses du marché de l'art actuel par le biais de ces protagonistes. Tous concentrent, pour des motifs différents, leur intérêt sur ce tableau, quintessence du sentiment amoureux, oeuvre d'un jeune peintre prisonnier d'un amour non payé de retour.

Les péripéties s'enchaînent avec un timing impeccable, les scènes cocasses ponctuent le récit et déclenchent souvent le rire. S'entremêlent à ce tempo endiablé des petites notes d'érudition, des passages qui sont autant de déclarations d'amour à la peinture. Ce pavé, loin d'être indigeste, est comme un mille-feuille dont chaque feuille serait à déguster.

A consommer sans modération ! Un ÉNORME coup de cœur !