Rurale
Alors qu'elle s'est s'est extraite de son milieu rural et agricole, Marie-Loup décide de faire un retour à la terre, celle de ses parents, pour sauver la ferme familiale et reprendre des gestes qu'elle n'a pas oublié depuis l'enfance, ceux du vêlage qui portent une relation sensuelle et affective aux animaux d'élevage. Marie-Loup s'engage alors corps et âme dans cette activité de grande réputation des « naisseurs », qui conduisent des troupeaux de bovins soigneusement sélectionnés. Ce très beau portrait d'une femme pugnace et courageuse dans un monde encore très masculin, incarne à travers ses rencontres et ses personnages le monde agricole contemporain confronté à l'épuisement, la solitude, l'endettement et comme de tout temps, à la jalousie, l'avidité, la concupiscence, l'hypocrisie et l'alcoolisme. Mais ce premier roman, dont le fil narratif tend intensément la lecture, porte aussi une très belle lumière de solidarité et d'entraide.
Troublant
Jeune trentenaire, Allis vient d'accepter un poste d'aide à domicile dans un petit fjord perdu. Loin du vieillard qu'elle supposait, elle entre au service d'un homme d'une quarantaine d'années, Sigurd, en bonne santé apparente mais qui vit seul dans une maison isolée, dans l'attente du retour toujours reporté de son épouse. Allis devient la cuisinière, la femme de ménage et la jardinière de cet homme taciturne et mystérieux. Mais quelque chose d'étrange et de trouble s'installe et se distille entre ces deux personnages, pris entre attirance et répulsion, peur et désir, traumas et culpabilités avérées ou supposées. De quoi seraient-ils l'un et l'autre victimes ou coupables ? Dans ce huis clos incertain, les situations et les comportements peu à peu inquiètent. Une menace sourde, une folie naissante et de faux soulagements égrènent les pages et flottent dans la si douce voix d'Allis, unique narratrice, aussi déstabilisée que déstabilisante.
Une vérité étouffée
De Cherbourg à Karachi, ce captivant thriller géopolitique savamment orchestré conduit hors des sentiers battus sur le chemin d'une vérité par trop étouffée. Rythmé, inventif, original, le dépaysement est absolu.
Jeune journaliste local du Cotentin, Jef Kerral est marqué depuis l'enfance par l'attentat de Karachi qui, en 2002, a coûté la vie à 14 personnes dont 11 techniciens français de la Direction des construction navales qui travaillaient à la mise au point d'un sous-marin acheté par le gouvernement pakistanais. Ce terrible événement a provoqué une brouille incompréhensible entre son père, Claude, collègue de ces victimes et son meilleur ami, Marc, rescapé de l'attentat que Jef admire. Alors que les commémorations des 20 ans du drame se profilent, avec leur cortège d'officiels et d'hypocrisies, Jef est lassé de couvrir les fêtes locales du cidre et plus encore de l'étouffement de la vérité qui asphyxie les victimes et empoisonne les vies de tous. Il se rend à Karachi sur la piste pakistanaise étonnamment négligée par les enquêteurs à la recherche de Shaheen Ghazali, un officier ingénieur de la marine pakistanaise, homme loyal et droit qui se bat depuis 20 ans pour que la vérité éclate mais qui ne donne plus signe de vie. Dans l'effervescence et le labyrinthe de Karachi, où le danger guette et menace à chaque coin de rue, Jef trouve le soutien de Sara, jeune lieutenante de la marine pakistanaise. Mais le chemin de la vérité peut-il sortir des sentiers obscurs de Karachi ? Olivier Truc mène un thriller géopolitique haletant aux personnages attachants. Comme Jef, ce localier devenant grand reporter, il va là où les autres ne vont pas, déplace le regard, ouvre les yeux sur un système infernal de pressions et de corruptions face auquel des hommes et des femmes courageuses n'ont parfois, entre révolte et résignation, d'autre refuge que la poésie pour résister et pour échappatoire les corridors et arrière-cours d'improbables et hallucinantes boutiques de livres, lieux de scènes fascinantes.
De toute beauté
À travers le personnage de Vadim, jeune parisien d'une dizaine d'années placé dans les années 40 dans une famille d'accueil d'un village de montagne pour y être protégé, ce magnifique roman est celui de toutes les sensations, de tous les éveils au monde, de tous les apprentissages et découvertes, celui de la plus belle enfance, si fragile et si menacée par la violence des hommes et la folie de l'histoire. Mais à l'abri de cette montagne belle, majestueuse, impressionnante et de ses habitants, Vadim s'ouvre aux autres et à la vie, il fait confiance au monde, traversé par l'intensité des couleurs, des odeurs et des sensations. Et c'est l'une des très grandes beautés de ce roman que de nous rappeler qu'il doit toujours y avoir une place pour accueillir et protéger la beauté de l'enfance dans la beauté du monde, que l'une et l'autre sont liées. Valentine Goby, à son sommet, nous fait entrer dans cette plénitude.
Si juste, si poignant
En évoquant le figure de son oncle dans les années 80, jeune noceur devenu dépendant à l'héroïne avant de contracter le SIDA, Anthony Passeron dresse le portrait bouleversant d'une famille commerçante de l'arrière-pays niçois, confrontée à l'impensable d'une maladie inconnue alors. Avec délicatesse et d'un regard toujours attentionné, il interroge par des scènes, des mots, des situations et des images soigneusement choisies, les silences et les non-dits. Il met en miroir de l'histoire familiale, la course poursuite des médecins et des chercheurs pour lutter contre cette nouvelle maladie. Jamais sordide, ce premier roman est juste et poignant. Il porte ses personnages comme on porte sur ses épaules un être aimé et fragile pour qu'il soit vu, enfin. Par là même, il montre à quel point toutes les strates de la société française ont été touchées par le SIDA, y compris dans le monde rural.