Naissance d'un pont

Maylis de Kerangal

Folio

  • Conseillé par
    20 novembre 2019

    Coca, ville (imaginaire) californienne de peu d'importance, écrasée par San Francisco, sa célèbre voisine. À sa tête, l'ambitieux John Johnson, dit le Boa. Après un voyage à Dubaï, pays de la démesure, chantier permanent, l'édile rêve en grand. Il veut sortir sa ville de l'ombre, montrer à la face du monde que Coca a de l'envergure. Pour cela, il lui faut un projet à la hauteur de sa mégalomanie. Ce sera un pont suspendu. Ouvrage d'art, monstre fabuleux, preuve indéniable de sa capacité à emmener la ville vers la gloire. Dès l'annonce de ce chantier colossal, entreprises du BTP, ouvriers spécialisés et simples manœuvres convergent vers Coca, tous réunis par un même but : construire un pont.

    En lisant pour la première fois Maylis de Kerangal, on ne peut qu'être ébloui par son écriture incisive, nerveuse, parfois lyrique et par sa capacité à camper ses personnages en quelques phrases qui nous les rendent familiers instantanément. Mais si ce style si particulier fait des merveilles quand il s'agit d'évoquer les greffes d'organes (dans "Réparer les vivants"), il est moins évident lorsqu'elle parle de la construction d'un pont. Alors que l'on vibrait avec les malades, les médecins, les parents du donneur, on s'ennuie un peu avec les bétonneurs, les grutiers, les ouvriers. Et surtout, on a l'impression de lire le même livre ! Thème et enjeux différents, style et constructions du récit identiques. D'où une légère déception. L'auteure ne se renouvelle pas, applique le même schéma, utilise les mêmes ficelles. Cela reste un bon livre mais cela ne donne pas envie d'explorer plus avant son œuvre. Dommage.


  • Conseillé par
    14 août 2014

    Quel bonheur de retrouver l'écriture sublime de Maylis de Kerangal découverte dans Réparer les vivants avec de nouveaux espaces et la petite ville de Coca.
    Son maire surnommé le Boa veut qu'elle soit connue de tous et accessible enfin désenclavée de ce coin de Californie où elle jouxte la forêt. Et un projet fou par sa mesure, ambitieux par sa technicité : un pont suspendu qui surplombe le fleuve. "Il veut une œuvre unique. (..) Le Boa se vit Médicis, prince mécène en cape de velours, s'en aima davantage, et loin d'en prendre ombrage, accepta qu'une gloire étrangère vienne prendre appui sur ses terres pour faire monter la sienne".

    Un chantier titanesque qui avant de débuter propulse son écho, ses promesses de travail pour des hommes et des femmes. "Câbleurs, ferrailleurs, soudeurs, coffreurs, maçons, goudronneurs, grutiers,(...)" et d'autres professions variées qui suivent dans le flux “rôtisseurs de poulets, dentistes, psychologues, coiffeurs, pizzaïolos, prêteurs sur gages, prostituées, écrivains publics, (...)” et le chef de chantier Diderot. Homme à qui la rumeur a inventé des passés multiples, homme "pluriel" mais toujours "prêt à tout pour remporter la prime".

    Et ce pont va naître, prendre forme, commencer à s'élever dans les airs, modifier et s'inscrire petit à petit dans le paysage de Coca. Un chantier avec des imprévus mais il faut tenir les délais. Les gens qui y travaillent vivent au rythme de l'avancement ou des grèves, se côtoient, se frôlent ou réunissent leurs compétences, leurs solitudes, leurs projets de sabotage. Ce grand ouvrage suscite des oppositions de la part des écologistes alors que le maire ne veut pas céder.

    De la construction ce pont et de sa fourmilière humaine, Maylis de Kerangal étend son écriture si singulière dotée d'un souffle puissant, musicale jouant dans des gammes rapides mais jamais pressées. Son écriture sublime, maîtrisée serpente entre les hommes et les machines.
    Sur un thème aussi pointu avec son territoire lexical, de tout ce qui gravite autour de l'édifice de ce nouvel axe de transport et à l'ensemble des procédés techniques, sans oublier ses personnages et l'environnement, on est enveloppé par l'énergie et les sentiments qui s'en dégagent.
    Un roman lu en apnée totale qui m'a conquise et ébahie sur toute la ligne !


  • Conseillé par
    10 mars 2012

    Maylis de Kerangal part d'un idée originale pour son roman. De mémoire de lecteur, qui ne vaut pas sondage je suis passé à côté de tellement de livres, je n'ai pas souvenir d'un tel thème. Mais je me trompe sûrement et j'attends donc vos rectifications. De toutes manières, même si de tels romans existent, il faut bien reconnaître que ce n'est pas le thème majeur de la littérature. Car de littérature, il en est question, au moins pour ma propre -et variable- définition de ce vocable : chacun ayant sa signification de la littérature, ses critères personnels. Roman à l'écriture admirable, aux phrases travaillées, longues, qui englobent parfois plusieurs idées à la fois, au vocabulaire tantôt recherché, châtié voire rare et tantôt familier voire grossier, et il faut bien le dire à certains passages dans lesquels il est parfois difficile de maintenir l'attention.

    Mais comment résister à cela par exemple :
    "Sanche Cameron, lui, s'écartera pour la regarder mieux tandis qu'elle se présentera aux autres, la détaillera sans parvenir à se faire une idée, la trouvera étrange, de la gueule mais lourde, une démarche de gorille, des mains courtes et des épaules carrées, des hanches larges, une belle peau mate, l'épaisse chevelure blonde, mais un menton en bénitier, un nez de chien, voilà, elle aura pleinement conscience d'être la bête curieuse, elle voudra faire impression et ne sourira pas, une fille au béton n'est pas monnaie courante." (p.49/50)
    Maylis de Kerangal raconte tout : la préparation de la construction, le choix des hommes et des femmes, et certains d'entre eux un peu plus en détails ; elle s'attarde sur quelques uns pour nous raconter leurs vies, leurs parcours et parfois comme plus haut et comme ci-dessous leurs particularités physiques : "John Johnson, dit le Boa, est un homme de taille moyenne, corps imberbe, torse d'haltérophile et carnation chinoise, nuque forte, sourcils drus sur petits yeux fendus, pas de lèvres, dents pointues, langue grise." (p.53)
    C'est une lecture qui demande un peu d'attention pour bien se diriger dans le chantier, qui se mérite mais qui récompense son lecteur. Certes, ce roman souffre de certaines longueurs, de certains passages moins captivants, mais sa construction est toujours épatante, dans une langue qui me ravit. Si je puis me permettre cette image totalement pourrie, je pourrais dire que le roman de Maylis de Kerangal est à l'image des ouvrages d'art, solide, bien construit et qui permet de découvrir de nouveaux horizons.