claudialucia

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.fr/

Depuis mon apprentissage de la lecture, les livres ont toujours tenu dans ma vie une place immense. J'ai ouvert ce blog intitulé Ma librairie pour garder le souvenir de toutes ces lectures, des émotions ressenties, des récits, des mots et des phrases qui m'ont marquée.
Le titre de mon blog est un hommage à Michel de Montaigne qui aimait à se retirer dans sa librairie (au XVIème siècle le mot a le sens de bibliothèque), au milieu de ses livres.
La librairie de Montaigne était située au troisième étage d’une tour de son château qui figure dans mon logo. Là, il lisait, méditait, écrivait. Là, il rédigea Les Essais.
Pour moi, comme pour lui, les livres : “C’est la meilleure des munitions que j’aie trouvée en cet humain voyage”.

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24 mai 2012

Jean-Christophe Rufin : Le grand Coeur

Jean-Christophe Ruffin l'explique, il a passé son enfance, à Bourges, au pied du palais de Jacques Coeur, un homme "qui lui montrait la voie" au milieu de la grisaille, un homme "qui témoignait de la puissance des rêves et de l'existence d'un ailleurs de raffinement et de soleil". C'est pour lui rendre hommage et surtout pour lui dresser un "tombeau romanesque" que Jean-Christophe Ruffin écrit Le grand Coeur avec pour but de faire vivre le personnage et de ressusciter un période historique complexe, témoin de grands bouleversements. 



Ce roman historique, relate, en effet, une époque charnière, riche en péripéties, celle où la France va sortir du Moyen-âge et s'ouvrir, lentement mais peu à peu, à un autre style de vie, à d'autres mentalités, une avancée vers la Renaissance. Le palais de Jacques Coeur à Bourges témoigne de ce passage, l'une des façades est encore gothique, l'autre renaissance. La jeunesse de Jacques Coeur, issu d'une modeste famille d'artisans, se déroule en effet, sous le règne de Charles VII qui succède à son père, Charles VI Le fou. Le pays est ruiné par la guerre de cent ans avec les Anglais dont les troupes dévastent les campagnes, pillent, détruisent, tuent. Le pouvoir du roi est contesté, l'intervention de Jeanne d'Arc permet son couronnement mais le royaume est largement détruit, misérable, encore traversé de guerres intestines. Les moeurs chevaleresques tombent en désuétude, le sentiment de l'honneur est remplacé par l'attrait de l'argent, la guerre devient plus technique, et l'on va bientôt désirer plus de raffinement, de douceur, de luxe. Or c'est par le commerce que la société va pouvoir évoluer, d'où le rôle d'un homme comme Jacques Coeur qui a voyagé en Orient, en Italie, en Flandres, en Grèce, et possède une hauteur de vue et une ouverture exceptionnelles. Profitant de la paix, même toute relative, il va s'allier au roi pour organiser des échanges commerciaux ambitieux, ce qui apportera une prospérité au royaume et lui permettra de réaliser une immense fortune. Mais il n'est jamais trop bon d'être plus riche que son souverain!
L'Histoire s'allie aussi à la fiction et l'écrivain laisse son imagination suppléer en l'absence de faits historiques fondés, brodant, par exemple, autour des relations qui ont rapproché Jacques Coeur de la favorite du roi, la belle Agnès Sorel, peinte par Fouquet.
Le but de l'écrivain étant de rappeler cet "homme à la vie", il dresse de Jacques Coeur le portrait d'un homme supérieurement intelligent, en avance sur son époque, hardi et ambitieux. A côté du personnage principal, le portrait du roi, aigri, soupçonneux, jouant de sa faiblesse physique, maladivement jaloux de son autorité, dangereux pour ceux qui lui font de l'ombre est tout aussi réussi.

Damas : Le choc de deux civilisations :
"Surtout Damas comptait de fabuleux jardins. Cet art, poussé à l'extrême de son raffinement, me parut être autant que l'architecture, le signe d'une haute civilisation. Enfermés dans leurs châteaux forts, menacés sas cesse de pillages, les nobles de chez nous n'avaient pas le loisir d'ordonner les terres comme ils le faisaient de la pierre. Nous ne connaissions que deux mondes: la ville ou la campagne. Entre les deux la Arabes avaient inventé cette nature réglée, hospitalière et close qu'est le jardin...
Nous découvrîmes à Damas bien d'autres raffinements, en particulier, le bain de vapeur. J'en usais presque chaque jour et y ressentais un plaisir inconnu. Jamais, jusque là, je ne m'étais autorisé à penser que le corps pût être en lui-même un objet de jouissance."

Jean Fouquet : peintre de la cour

"Quand Agnès le vit, elle prit immédiatement en sympathie. Il faut dire que découvrir Fouquet au milieu de ses tableaux était la meilleure façon de faire sa connaissance. Il était étrange de voir sortir de ce personnage si désordonné et si sale des oeuvres lumineuses d'une calme beauté, d'une facture précise et d'une délicatesse de couleurs et de formes qui lui faisaient totalement défaut dans la vie. Ses portrait en particulier plaçaient ses personnages dans un monde à part, comme s'ils les avait extraits de leur réalité pour les restituer dans le décor de leurs songes."

Le portrait de Charles VII

"Fouquet s'était bien tenu devant le roi, pour ne pas indisposer Agnès, sans doute. Mais s'il avait dissimulé l'antipathie qu'il ressentait pour le souverain, son tableau, lui, en faisait l'aveu. Il présentait Charles dans le climat de de sentiments qui lui était propre : jalousie, peur, cruauté, méfiance, rien ne manquait. Heureusement une des particularités des oeuvres de Fouquet étaient qu'elles plaisaient toujours à leurs modèles, quand même elles les montraient sous un jour défavorable."

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2 mars 2012

Sophie Chaveau : Fragonard et l'invention du Bonheur

Si j'ai choisi de lire Fragonard, L'invention du bonheur, de Sophie Chaveau, c'est que j'avais beaucoup aimé son livre sur Filippo Lippi

 Par contre, je n'étais pas, à l'origine, particulièrement attirée par ce peintre. Si j'apprécie les portraits de Fragonard comme celui de la Lectrice, je n'aime pas particulièrement ses grands tableaux ou ses oeuvres  légères et surtout le style Rococo qui au XVIII ème siècle regroupe en France, à côté de Fragonard,  Watteau, Boucher, Greuze... Ce qui ne m'a pas empêchée de découvrir avec plaisir la vie de tous ces peintres et leur conception picturale car Sophie Chaveau  connaît avec précision cette période artistique et sait la faire revivre.
Le Rococo touche tous les arts, l'architecture en particulier, l'ameublement, la peinture et vient de la fusion du baroque italien et du style rocaille à la française, reprenant des ornementations des grotesques de la Renaissance : feuillages, masques, coquilles, dragons. Le mouvement s'envole, les lignes serpentent, s'enroulent, sinuent.

Ce style foisonnant dont les sujets sont souvent érotiques et légers est le reflet d'une société libertine qui oublie les maux de ce siècle en se divertissant, en s'adonnant aux plaisirs, aux fêtes galantes ; une société aristocratique qui refuse de voir l'orage qui menace préfigurant la révolution. Une société qui invente le mot bonheur et dont Fragonard est le plus illustre des représentants. Car il faut bien reconnaître que Fragonard, est un grand maître de la peinture, un peintre exceptionnellement doué et son splendide jaune, inimitable, est un reflet du soleil de sa ville, Grasse, qu'il aimait tant.

Le mérite de Sophie Chaveau est d'avoir raconté une histoire à laquelle on s'intéresse, celle d'un petit garçon né en 1732 à Grasse dans un milieu modeste qui part à Paris avec sa mère pour rejoindre un père joueur et volage qui les avait abandonnés. L'écrivain dresse un beau portrait de cette femme qui pressentant le génie de son fils s'épuise pour qu'il puisse suivre des études de peinture d'abord dans l'atelier de Chardin puis de Boucher. Nous suivons toute sa carrière, sa brillante réussite, quand prix de Rome, il part en Italie, à la villa Médicis, pendant quelques années. Nous partageons son amour des enfants et des animaux qui peuplent et animent son atelier du Louvre et se retrouvent dans ses tableaux. Fragonard peint toujours dans un joyeux désordre, un tumulte heureux, entouré de sa famille et des amis, artistes qui sont tous réunis dans les résidences délabrées et insalubres du Louvre que le roi consent à mettre à leur disposition. Nous découvrons sa femme Marie-Anne Gérard-Fragonard, peintre de miniatures, et la soeur de celle-ci, Marguerite Gérard, qui devint un peintre célèbre et mondain sous le Directoire.
Cette biographie est vivante mais, et cela m'a un peu gênée, l'on ne distingue pas trop bien les faits avérés de ceux qui sont purement imaginaires. Par exemple, Fragonard a t-il réellement eu un enfant de sa belle soeur Marguerite, bébé que Marie-Anne accepta de faire passer pour son fils, le petit Alexandre-Evariste dit Fanfan? Quelle est la part romancée? Ce qui est sûr c'est que Fragonard fut anéanti par la mort de sa fille chérie, la petite Rosalie, et qu'il cessa de peindre, traversant la Révolution et l'Empire en perdant peu à peu au milieu de la Terreur son goût du bonheur. Ce qui est certain aussi c'est que Sophie Chaveau aime son personnage, le petit Frago, ce grand peintre qui préfère les thèmes galants et légers plutôt que graves qu'il interprète cependant sans vulgarité. Il est vrai que Fragonard se libérait ainsi des contraintes de l'Académie qui imposait le sujet historique comme Genre noble, ce que le peintre détestait particulièrement. D'autre part l'auteur, comme toujours, parle très bien de la peinture, elle nous fait découvrir les tableaux, la matière, les couleurs, en critique d'art mais aussi avec une chaleur et enthousiasme communicatifs.
J'ai trouvé par contre que la période historique et philosophique était un peu superficiellement traitée et j'aurais aimé, pour une fois, éviter le poncif, de la "petite reine" Marie-Antoinette si innocente marchant vaillamment vers l'échafaud! Mais, bon, c'est un détail qui n'empêche pas de se plonger dans cette lecture agréable qui nous apprend bien des choses sur l'art du XVIII siècle.
Les réflexions de Sophie Chaveau sur les autres peintres sont aussi très intéressantes :

CHARDIN
Chardin a été pour Fragonard un bon maître qui tout en laissant libre le jeune artiste lui enseigne son art par imprégnation, par l'observation. Mais cet apprentissage ne plaisait pas au jeune homme, lui qui rêvait du luxe, de la richesse, de la beauté des modèles féminins, de l'ambiance de l'atelier de Boucher.
Or, il se trouve que parmi ces artistes, c'est justement Chardin que j'apprécie le plus! Sophie Chaveau analyse bien la différence entre ces deux styles de peinture. Elle en parle si bien qu'elle me fait comprendre pourquoi j'aime les tableaux de Chardin alors que je suis pas spécialement attirée par les natures mortes. Chardin choisit des objets modestes, sans gloire, pour sujets de sa peinture, des pots d'étain, des oignons, des fannes de carottes peu importe... et il les peint lentement : "Chardin ôte le brillant des choses pour en extraire la sève, en tirer une autre réalité.... Rendre le relief, les infinies nuances de lumière, la gravité, les mystères des ombres, toutes ces subtilités qu'il ne parvient pas à trouver dans cette fichue assiette ébréchée de Chardin. Tout le jour, il gratte aux côtés du bonhomme à lunettes et à bonnet.... Les mois passent. Pourtant il sent son regard changer. Chardin lui ouvre un autre monde, une autre vision du Monde."

BOUCHER
Avec François Boucher, le maître bien aimé de Fragonard, on est loin de l'austérité de Chardin! Fragonard est heureux de l'avoir pour maître et apprécie son caractère affable, l'effervescence et la joyeuse camaraderie qui règnent dans l'atelier : "Boucher l'a beaucoup fait travailler mais selon sa dernière manière. Celle de sa gloire aux couleurs du badinage, aux humeurs de boudoir... Manière pleine de grâce et de légèreté à la semblance de toutes ces Madame Boucher, sensuelles et roses, de ses angelots dodus et nacrés, et des ciels estompés de crème qui parsèment ses tableaux."

GREUZE
Jean-Baptiste Greuze est un ami qu'il connut à Rome. Lui aussi un atelier dans la galerie du Louvre où il aménage avec sa femme qui le trompe à qui mieux mieux et lui fait des scènes violentes. Il n'ose pas répliquer et attend patiemment qu'elle en ait fini avec ses amants, cachée derrière un paravent. Tous le méprisent et le blâment : "Dans toute la galerie on le fuit, et la peinture de Greuze toujours en vogue, commence à sombrer dans un moralisme qui cherche à opposer un démenti à sa vie. Et aux moeurs de sa femme. Ainsi prêche-t-il une petite morale sucrée. Qu'il aimerait tant insuffler à sa mégère."

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9 février 2012

Promis c'est promis de Minedition est un très joli objet, un mini-livre dans un étui en carton décoré de fleurs printanières, laissant apparaître, par une ouverture circulaire, les deux personnages de l'histoire, Camille, la petite marmotte, et la fleur de pissenlit.

Les marmottes ont dormi tout l'hiver, aussi quand Camille se réveille, il est tout heureux de découvrir la nature dans son premier printemps. Au cours de ses promenades, il rencontre une fleur de pissenlit dorée et rayonnante qui va devenir son amie. Mais la fleur change rapidement et un jour elle arbore une jolie tête toute blanche. Lorsqu'elle lui demande de souffler sur elle, elle promet aussi à Camille que tout ira bien. Camille obéit et, à son grand désespoir, voit la fleur disparaître. Il est d'abord découragé mais... : " Promis, c'est promis", il doit faire confiance à son amie jusqu'au printemps prochain!

Le texte de Knister permet aux tout-petits de comprendre le cycle des saisons et de constater que le printemps préside à la renaissance des fleurs, au renouveau de la nature. C'est aussi un récit sur la confiance que l'on doit avoir entre de véritables amis.

Les illustrations d' Eve Tharlet sont tout en délicatesse et douceur, des teintes bleutées et froides pour l'hiver, pastels pour célébrer le renouveau de la nature et lumineuses et chaudes pour peindre la beauté de la fleur de pissenlit semblable à un soleil aux yeux de la petite marmotte.

Les Presses de la Cité

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3 novembre 2011

Michel Bussi : Nymphéas noirs

Les Nymphéas noirs de Michel Bussi commence par un prologue qui semble nous plonger dans l'univers du conte :

"Trois femmes vivaient dans un village.
La première était méchante, la deuxième était menteuse, la troisième était égoïste.
Leur village portait un joli nom de jardin Giverny. (...)
La première avait plus de quatre-vingts ans et était veuve. Ou presque.. la deuxième avait trente six ans et n'avait jamais trompé son mari. Pour l'instant. La troisième avait onze bientôt et tous les garçons de son école voulaient d'elle pour amoureuse."

Puis le roman débute par... la découverte d'un cadavre au crâne défoncé, celui de Jérome Merval, dont le corps est trouvé à l'endroit exact où a eu lieu le meurtre d'un petit garçon bien des années auparavant. L'inspecteur Laurenç Sérénac et son adjoint adjoint Sylvio Bénavides mènent l'enquête qui tourne autour de la très jolie institutrice du village que l'inspecteur Sérénac semble trouver à son goût. Vous vous doutez que les trois femmes vont jouer un rôle primordial dans cette histoire ainsi que le chien Neptune, et les fameux Nymphéas noirs qui donnent le titre au roman.

Mais je ne vous en dis pas plus! car si vous êtes comme moi, vous allez vous faire avoir en beauté! Je me suis laissée mener (suis-je la seule? Suis-je particulièrement naïve?) par le bout du nez. Je n'ai pas soupçonné jusqu'à la fin... quel était le mystère! Pour une surprise, ce fut une surprise que j'ai particulièrement appréciée! Bravo à l'auteur qui a conçu ainsi une intrigue aussi bien menée!

A cette réussite de l'intrigue policière s'ajoute le plaisir de vivre à Giverny l'espace d'un roman, un village qui nous livre ses beautés, ses secrets aussi, un Giverny que l'écrivain connaît bien et où il nous promène pour notre plus grand plaisir, nous permettant de découvrir Monet et les impressionnistes, chez eux, dans leur intimité. De plus l'écrivain, grâce à l'enquête policière, nous amène en balade jusqu'à Rouen. Nous admirons la cathédrale peinte vingt huit fois par Monet. Vingt huit fois, oui, de la même manière qu'il a peint toujours les mêmes nymphéas de Giverny pendant trente ans!

"Les gens devaient le prendre pour un fou...
Les gens, au fond, admirent les fous"

Nous visitons le musée de Rouen mais aussi celui de Vernon avec son fameux tondo de Nymphéas donné par Monet en 1925, un an avant sa mort. Il y a dans ces pages, un réel intérêt pour la peinture que j'ai amplement partagé avec l'écrivain!

Un roman policier agréable donc qui a reçu le prix du polar au festival de Villeneuve-Lez-Avignon 2011.

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29 septembre 2011

Certains écrivains ont la grâce et c'est le cas de Heidi W. Durrow qui pour son coup d'essai, son premier roman, réalise son coup de maître en écrivant La fille tombée du ciel. Celui-ci a reçu le prix Kingsolver Bellwether*. Et il faut dire que ce beau roman triste et pourtant plein d'espoir, bien ancré dans la société dont il dénonce les travers, le mérite amplement!

Rachel Morse a 10 ans quand elle est adoptée par sa grand-mère après la mort accidentelle de sa mère et de ses frères et soeur et la disparition de son père. De sa mère danoise, elle a la peau claire et les magnifiques yeux bleus, de son père GI américain noir, les cheveux crépus qui "boulochent" facilement. Au Danemark, elle serait considérée comme blanche, aux Etats-Unis, à Portland où elle vit, elle est noire et au cas où elle l'oublierait on n'a de cesse de le lui rappeler jusqu'à ses camarades de classe qui lui reprochent de "faire la blanche". Face à elle, Jamie ou Brick, quel que soit le nom qu'il se choisit, a assisté à l'accident survenu à la famille de Rachel. Il a aussi rencontré le père de la fillette qui l'a chargé d'un message pour sa fille. Investi d'une mission, il traverse la moitié des Etats-Unis pour la rejoindre et il lui faudra des années pour y parvenir.

Les deux récits, celui de Rachel et celui de Brick se déroulent en parallèle, entrecoupés par moments de passages du journal intime de Nella, la mère de Rachel et du témoignage de Laronne, sa patronne. Ce qui nous permet de comprendre peu à peu Nella qui hante l'esprit de la fillette et est un des personnages-clefs du roman.
La fille tombée du ciel traite avec sensibilité et intelligence du racisme quand il s'exprime non par la violence et l'agression mais au jour le jour, avec qu'il a d'insidieux, de corrosif, puisqu'il aboutit à une dépersonnalisation, une perte d'identité. On s'aperçoit combien, vécu à l'ordinaire, dans la vie quotidienne, il peut avoir un effet dévastateur, priver celui qui le subit de l'estime de soi-même, annihiler la volonté, conduire à la dépression comme c'est le cas pour Nella. Heidi W. Durrow doit savoir de quoi elle parle, ayant elle aussi une mère danoise et un père Gi américain noir, et c'est peut-être ce qui explique la sincérité de ton et la profondeur tout en finesse de l'analyse.
J'ai aimé la sobriété du récit qui, tout en nous contant des faits poignants, des situations tragiques, refuse de toucher la corde sentimentale du lecteur, conférant à ses hommes et ses femmes une grande dignité dans leur malheur. Car on aime ces personnages, celui de Rachel, si courageuse, si ferme, enfant marquée par la terrible tragédie qui a décimé sa famille et qui ne sait plus trop qui elle est et à quel monde elle appartient. Rachel, petite fille désemparée, qui cherche à mettre son chagrin "en bouteille" pour mieux le contenir. Brick lui-même enfant à la dérive, mal aimé, est aussi un très beau personnage dont le regard transfigure la réalité. Il introduit un peu de poésie dans ce drame et, parce qu'il en en lui quelque chose de pur, apporte l'espoir à Rachel. Et puis il y a Nella, complexe, tourmentée, qui se juge mauvaise mère mais que sa fille continue à aimer et dont elle retrouve l'image intacte en elle, à la fin du roman.
Un très beau livre profondément humain.

*Le Prix Bellwether, créé en 2000 par Barbara Kingsolver et est entièrement financé par elle,est remis à des écrivains dont les oeuvres permettent de promouvoir la fiction qui aborde les questions de justice sociale et de l'impact de la culture et la politique sur les relations humaines.